Beaune : Le festival du film policier célébrera le cinéma coréen

Le 7e Festival International du Film Policier de Beaune aura lieu du 25 au 29 mars 2015. Après Paris, New York, Hongkong, Londres, Rome/Naples et Mexico, le Festival mettra en avant la ville de Séoul cette année.

21 janvier 2015 à 7h49 par 45

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 Le 7e Festival International du Film Policier de Beaune aura lieu du 25 au 29 mars 2015. Après Paris, New York, Hongkong, Londres, Rome/Naples et Mexico, le Festival mettra en avant le cinéma corréen, via la ville de Séoul cette année.

La programmation du festival n'a pas encore été dévoilée, mais mettra à l'honneur l'émergence de plusieurs styles de cinéma coréen, qui n'émergent que depuis une dizaine d'année et la libération de la dictature.

{slider=Découvrez l'analyse de Yves Montmayeur, Réalisateur du documentaire "Les enragés du cinéma corréen" en 2007} « L'heure est venue d'ouvrir grand les bras à des hommes mauvais et au prix qu'ils ont payé pour définir leur époque en secret » déclarait James Ellroy dans American Tabloïd. Pour celui qui a fait éclater la frontière entre flics et truands, il ne s'agit plus de délimiter le Monde entre bons et méchants. Car le Mal circule de corps en corps, comme la corruption se répand dans toutes les strates de la société. Mais cette vision noire et nihiliste, cette approche anti-manichéenne a déserté le cinéma américain pour mieux se manifester dans le nouveau polar coréen.

Ce genre à part entière démarre véritablement en 2003 avec MEMORIES OF MURDER de Bong Joon Ho, qui devient d'emblée le « Corée : Année Zéro » de la nouvelle cinématographie nationale, soit 10 ans après la fin de la dictature militaire. Car il faut bien se rappeler que le cinéma coréen ne dispose d'une liberté d'expression que depuis seulement 1993, après trente années de turbulences politiques et de régime fascisant. La modernité cinématographique coréenne émerge au même moment. Dans la même urgence, et avec la même brutalité. Le personnage de OLD BOY de Park Chan-wook (2003) réapparaissant après 15 années de séquestration est une métaphore évidente de l'emprisonnement, pendant près de 20 ans, de la société coréenne sous le régime militaire.
C'est en effet au sortir de ces années de plomb, qu'une horde sauvage de réalisateurs va projeter de toutes forces dans le miroir du miracle économique sud-coréen une véritable volée de coups de poings, de coups de flingues et de coups de gueules désespérés. Autant de marques indélébiles d'un cinéma de genre existentialiste qui tente, en cette fin de millénaire marquée par la crise financière asiatique, de retrouver les traces d'une identité culturelle perdue. Identité confisquée par le régime militaire, mais aussi masquée par le traumatisme toujours présent de la séparation du pays en deux entités ennemies.


Comment ne pas comprendre alors pourquoi ces films sont soutenus essentiellement par des histoires de vengeances paroxystiques et de duels urbains sanglants (OLD BOY, THE
CHASER, 2008), avec des personnages souvent animés par une énergie totalement libidinale (BAD GUY, 2001. A BITTERSWEET LIFE, 2005.) ? Que la traque récurrente du serial killer à l'intérieur de ce cinéma peut aussi se regarder comme une séance d'exorcisme des ombres du passé (MEMORIES OF MURDER, THE CHASER) ?


S'ensuivent alors des courses poursuites à la sauvagerie inouïe, se perdant dans l'enchevêtrement des ruelles obscures de Séoul, une ville devenue la réplique anxiogène du labyrinthe intérieur de l'inconscient collectif coréen. La maltraitance des corps et la torture y résonnent comme de sourds échos de la dictature continuant de marteler les tympans de ces jeunes auteurs. Dans les films de ces stylistes du néant, rien d'ailleurs ne semble avoir vraiment changé. Les militaires ont juste troqué leur treillis avec l'uniforme noir et blanc des exécutifs du nouvel ordre capitaliste. Sans parler des flics, hier encore au service de la répression dictatoriale et qui composent aujourd'hui difficilement avec les nouvelles libertés démocratiques (PEPPERMINT CANDY, 2000). Mais cette fois ce sont ces inspecteurs qui deviennent la cible privilégiée de ces réalisateurs vindicatifs. Car aucune autre cinématographie n'a autant critiqué, brutalisé, et rétrogradé aussi cyniquement ses forces de police, incarnées par des types butés aux méthodes violentes et primitives. De BAD GUY à THE CHASER, ces actes d'humiliations ponctuant allègrement leurs investigations comme leurs procédures, sont autant de marques de ressentiment.


Ce n'est donc pas fortuit si l'un des décors essentiels de ces nouveaux polars se trouve être le lieu de toutes les abominations de l'époque totalitaire : le commissariat de police coréen ! Avec son ambiance cacophonique, où les voix éructent de tous côtés, où les restes épars de plats avalés à la sauvette jonchent des bureaux sur lesquels s'empilent des dossiers maculés de sauces. C'est un spectacle de chaos, brouillon souillon de la société civile coréenne. On est ici à mille lieues des bâtiments fonctionnels et aseptisés qu'arpentent les héros castés des séries US, de 24 HEURES CHRONO à DEXTER. Pas un film de cette nouvelle vague coréenne qui ne cite en effet une scène miniaturisée de la Comédie humaine made in Korea. La caméra nous introduisant clandestinement dans la géographie des locaux policiers, elle glisse le long des couloirs encombrés d'une populace hébétée au sein de laquelle surgissent des flics rustauds et teigneux qui marquent leurs grades hiérarchiques à renforts de mimiques, mais restent tous égaux dans leur look de rabatteurs forains, la visite se finissant souvent dans les salles d'interrogatoire souterraines. C'est là, derrière les portes lourdes, que les pluies de coups pleuvent, que les cris de suppliques des uns couvrent les vannes salaces des autres. Ces scènes sont bien là pour créditer l'usage de la torture, et le recourt à des preuves fabriquées, comme cette trace de semelle de chaussure produite par les enquêteurs de MEMORIES OF MURDER. Des pratiques ici récurrentes, et qui ne font que rappeler les méthodes employées par la police coréenne, chargée, dans les années 80, de réprimer les mouvements anti-gouvernementaux.


Mais ces chroniques de commissariat idoines, passant du tragique au comique, ces histoires à la limite du grotesque, renvoient à d'autres scènes similaires, ancrées dans le cinéma italien des années 60 et 70. Les coréens ne sont-ils pas les Italiens d'Asie ? Ils ont en commun ce goût pour la truculence, et cette tentation de frayer avec une immoralité frondeuse, en évitant également de se prendre au culte du héros infaillible. Car à l'instar des polars politiques transalpins de cette époque, les flics ou truands de ces films désenchantés sont des anti-héros, des loosers. La thématique de l'échec étant ici la vraie motrice narrative de cette nouvelle vague coréenne. Bong Joon Ho avouait d'ailleurs avoir regardé beaucoup de films italiens dans les ciné-clubs de sa jeunesse, et être resté sensible au courant néo-réaliste. Peut-être a-t-il vu également CONFESSION D'UN COMMISSAIRE DE POLICE AU PROCUREUR DE LA R�?PUBLIQUE (Damiano Damiani, 1971), oeuvre emblématique du thriller politique contestataire, dénué de toutes illusions sur la nature du pouvoir institutionnel. Mais si l'Italie des années 70 et 80 partage avec la Corée des années 2000 ce même sentiment de crise identitaire, d'impuissance civile, ces enragés du cinéma coréen, beaucoup plus perméables aux influences étrangères que leurs confrères de Hongkong ou du Japon, ont aussi puisé abondement dans les oeuvres du Nouvel Hollywood. �? l'égal de leurs aînés américains des années 70, Coppola, Scorsese, De Palma, et Friedkin, qui sortaient commotionnés du conflit vietnamien, les auteurs coréens n'ont fait que chercher aussi à sortir du climat d'asphyxie général créé par leur récent passé répressif. Et comme eux, Park Chan-wook, Kim Jee-woon, Bong Joon Ho, Ryoo Seung-wan, Kim Ki-duk et quelques autres, se sont emparés des codes du cinéma de genre pour évoquer, dans une sophistication noire et sauvage, le climat de décomposition politique et culturel d'une Corée aux plaies toujours ouvertes.
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